(Oct 1856) Page(s) 218-225, pl. XIX. Includes photo(s).
ROSA VIRIDIFLORA ROSE VERTE. • (PL. XIX). Étude morphologique à son sujet.
' Une rose verte ! N'est-ce pas là l'impossible réalisé ? Aussi que de cu riosités en éveil, que d'incrédulités confondues, que de naïvetés émer veillées! Monstre, diront ceux-ci ! Jouet du hasard, répliqueront ceux-là! Oui, en effet, mais phénomène exceptionnel comme se plaît à nous en offrir quelquefois la nature, pour nous faire saisir par l'élude de ces bizar reries apparentes, les lois simples et unes de son organisation.
Tout en étant assuré du succès de ce nouveau produit que nous avons vu, d'abord à l'exposition universelle et en dernier lieu chez M.Eugène Verdier (1), je ne puis faire aucun éloge de sa beauté, beaucoup trop contestable. Ce n'est pas du reste à ce point de vue qu'on le recherchera. L'amateur d'horticulture ne verra, en introduisant dans sa plate-bande la rose verte, que l'extraordinaire de celte nouveauté. Mais ainsi est faite notre humaine nature, qu'on accorde souvent plus d'intérêt à une bizar rerie qui pique notre curiosité, qu'à une pure beauté, que notre admiration comprend sans peine. Pour le botaniste, l'attrait sera immense, car est-il une étude plus attachante de morphologie végétale (2) qu'une chloranthie (3) aussi nettement tranchée? Bref, peu favorisée en appa rence, puisque elle ne peut exciter d'admiration ni par l'éclat ou la gran deur de ses fleurs, ni par son odeur, qui est à peine perceptible, le Rosa viridiflora n'en sera pas moins assez recherché pour obtenir une cer taine popularité.
C'est une variété américaine, trouvée, il y a trois ou quatre ans, par un horticulteur des environs de New-Yorck. M. Verdier, aussi tôt après son introduction, en fit de nombreuses boutures, persuadé de l'intérêt qu'exciterait cette singulière rose auprès des floriculteurs et des botanistes. Il serait naturel de craindre d'abord qu'une monstruosité semblable ne pût tenir. Mais connue déjà depuis plusieurs années, sans qu'il se soit manifesté aucune altération, on peut espérer qu'elle restera acquise à la culture des jardins. Au commencement de notre siècle, on eût encore dédaigné l'étude d'uné semblable anomalie d'organisation, et il n'y a guère qu'une qua rantaine d'années que le vaste génie de Goethe comprit que de ces bizarreries de la nature on pouvait tirer des conclusions certaines sur l'organisation normales des végétaux. Depuis, les botanistes et de leur côté les zoologistes ont insisté sur ce que les monstruosités, dans un règne comme dans l'autre, étaient autant de jalons progressifs pour les études morphologiques, c ipables seules de mener peu à peu et sûrement à la connaissance de la vérité. C'est ce qui faisait dire à Corréa da Serra que les plantes dans leur état normal sont des filles discrètes, mais que dans leur état monstrueux, elles se démasquent, deviennent bavardes et disent alors tout ce qu'elles savent. Aussi, cette partie de la botanique est-elle resiée dans son enfance jusqu'au moment où l'on se préoccupa des monstres. Aujourd'hui nous avons des tératologies végétales (4), et M. Moquin Tandon a donné une classification des monstruosités chez les végétaux. Après le célèbre poëte allemand, MM. Ad. Brongniard et A. de Sainl-Hilaire par de savantes recherches dans celte voie, on amené la morphologie végétale au point avancé où elle en est mainte nant. D'après ces travaux, nous pouvons aujourd'hui avoir la certitude que les diverses parties de la fleur, depuis le sépale jusqu'au pistil ne son que des organes appendiculaircs, des feuilles enfin, métamorphosées, ou mieux transformées. Ainsi, dans la partie ascendante de tout végétal vasculaire, il n'y a que deux systèmes, l'un axile et l'autre foliacé : celui ci affectant une extrême simplicité; une feuille à l'aisselle de laquelle est un bourgeon, qui,par son développement, donne naissance à un nou vel axe et à d'autres feuilles, accompagnées à leur tour chacune d'un nouveau bourgeon, et ainsi de suite.
Ce n'est que par un appauvrissement de son système et au bout de sa période végétative que la plante opère la transformation de ses organes appendiculaires pour arriver à former des étamines et des pistils destinés à sa reproduction. En effet, la plante frêle à sa sortie de terre ne produit ses deux premières feuilles cotylédonaires qu'encore imparfaites. Puis, plus vigoureuse, elle peut donner à ses feuilles tout leur développement. Enfin l'affaiblissement se fait sentir graduellement dans la métamorphose successive des organes appendiculaires en bractées, sépales, pétales, nectaires, étamines, jusqu'aux pistils. Mais à ce point il y a un retour vers la vigueur première, retour presque insensible il est vrai, mais indubitable pourtant. La plante paraît alors concentrer ses derniers efforts pour produire le développement du fruit par la fécondation, et lui procurer les éléments nutritifs qui lui sont nécessaires. Ainsi la nature, en nécessitant chez le végétal, comme chez l'animal, un surcroît de forces pour l'accomplissement delà reproduction, a voulu continuer l'identité physiologique dans les deux règnes.
C'est par l'observation des anomalies et des monstruosités, que'l'on est arrivé à la connaisssance de ce système si simple de la formation des diverses parties de la fleur. Cette étude est plus régulière qu'on ne sau rait le supposer d'abord, car il y a des anomalies constantes et des mons truosités fréquentes ou même périodiques.
Nous ne pouvons, dans ce court résumé d'une aussi vaste branche de l'organographie, citer beaucoup des nombreux exemples choisis comme preuves. Pour le moment, contentons-nous de demander à deux des plantes les plus communes de nos parterres, la tulipe, et la pivoine, de nous faire comprendre quelle est la nature de ces observations morpho logiques. Nous pouvons en effet remarquer chez la première (Tulipa Gesneriana), dès le milieu de la tige, des organes appendiculaires dont une partie à texture légèrement charnue, et bien colorée en vert, indique la feuille, tandis que l'autre, à texture fine, délicate et colorée suivant la variété placée sous vos yeux, paraît appartenir à la fleur. Pour la pivoine (Pœonia sinensis), nous observerons que normalement son ca ice revêt, dans une partie plus ou moins grande de un ou deux de ses sépales, la couleur pétaloïde.
On a un peu contesté que la fleur retrouvât un surcroit de forces dans la formation de son pistil. Mais cette opinion a pour elle une preuve bien grande, c'est que chez quelques fleurs doubles les carpelles sont remplacés par de petites feuilles; or, comme ce n'était que par affaiblissement que la feuille se changeait en organe floral, on peut présumer qu'un retour vers cet .état de feuille en est un de même à une vigueur plus grande. Le Cerisier à fleurs doubles (Cerasus hortensis fl. pleno) présente normalement ce phénomène.
Du reste , la production anomale des fleurs doubles servira encore de preuve à cette théorie. Il y a alors suivant l'expression peut-être trop poétique de Goethe, métamorphose anticipée, due à un degré plus prononcé d'affaiblissement que celui des fleurs simples.Mais l'affaiblissement est variable et rarement assez complet pour que la fleur ne se compose plus que de pétales. Parfois les étamines ne seront qu'en partie méta morphosées. Rien dans cette partie n'est régulier. Ainsi j'ai quelques roses Bengales sous les yeux et je remarque qu'une partie du calice est déjà de venue pétale chez une, tandis que chez une autre un pétale revêt encore la couleur verte des feuilles. Enfin je vois une rose dont à peine quelques étamines sont transformées, et une est un demi pétale portant sur son bord une gibbosité qui me représente une des loges de l'anthère.
Si l'espace nous le permettait, nous parlerions encore des roses prolifères, phénomène singulier, que l'on pourra du reste comprendre sans peine.
Après la métamorphose normale (fleur simple) et la métamorphose anticipée (fleur double), il y en a encore une que Goethe a nommée descendante ou rétrograde, et qui pourra, de son côté, venir fortement à l'appui de la vérité de ce système de la formation des diverses parties de la fleur. C'est à cette métamorphose que l'horticulture est redevable de la Rosa viridiflora. Cette transformation est bien en effet rétrograde, car elle n'est plus produite par un affaiblissement, mais au contraire par un excès de vigueur, et les parties de la fleur se présentent plus ou moins avec les caractères essentiels de la feuille tels que la forme, les nervures, la couleur, la texture, etc., suivant que la plante elle-même a eu sa végétation plus ou moins activée par une cause extérieure comme l'humidité ou la chaleur.
Les jardiniers, du reste, savent bien que la surabondance de feuilles empêche totalement ou partiellement la venue des fleurs, et que des ra meaux à feuilles se sont développés où auraient dû apparaître des fleurs. Toute la théorie de la taille des arbres est là. Ainsi, qu'on ne s'étonne point de voir des arbres chétifs et malingres produire plus de fruits que des arbres pleins de vigueur! La pratique doit donc savoir modérer ou exciter à son .profit, dans une juste proportion, la force végétative des arbres qu'elle gouverne.
Ces phénomènes de métamorphose sont les monstruosités les plus fréquentes du règne végétal. On a pu en constater de nombreux exemples, mais rarement aussi dignes d'étude que celui qui vient de nous être offert par l'horticulture.
Chez certains végétaux, pourtant, ces sortes de métamorphoses sont fréquentes; on a souvent pu les observer sur le genre Primula, et M. Ad. Brongniard en 1835-, a publié dans les Annales des sciences naturelles, une note (5) sur un cas de monstruosité des fleurs du Primula Sinensis. Mais les fleurs de Delphinium surtout affectent souvent cet état de chlo ranthie. En 1842, M. G. Dareste donna une note sur une monstruosité du Delphinium Ajacis (6), et il y a quelques mois à peine, M. Weddell présentait à la Société de botanique un spécimen analogue.
Le Fragaria vesca (fraisier des Alpes), l'Aquilegia vulgaris, le Trifolium repens, le Papaver somniferum, et bien d'autres, fournissent au si assez souvent des fleurs à cet état monstrueux.
Ces métamorphoses rétrogrades, plus ou moins prononcées, ont sur tout permis de comprendre la formation des organes reproducteurs. Ils nous ont montré que l'élamine est une simple feuille, dont les deux limbes se dédoublent de manière à former les deux loges de l'anthère; que le pollen est dû à la matière contenue entre les deux surfaces de la feuille, et appelée mésophyle, et que le filet et le connectif sont produits par le pétiole et la nervure médiane de la feuille qui en est le prolongement, sans même grande altération.
Dans le Canna indica, l'organe mâle est normalement pétale d'un côté et anthère de l'autre, uniloculaire bien entendu.
La formation sera aussi simple à expliquer pour le pistil si l'on songe bien que cet organe est composé d'une ou de plusieurs feuilles modifiées, et nommées carpelles ; que ces carpelles sont libres ou soudés totale ment, ou au moins partiellement, et, qu'en définitive , chaque carpelle est au pistil ce que le pétale est à la corolle. Nous avons reconnu que les carpelles étaient des, feuilles. Chacune de ces feuilles doit former une loge ovarienne ou une de ces parties. Dans le premier cas, elle se repliera sur elle-même, ses limbes se souderont, et à l'endroit môme de cette soudure se manifestera un épaississement du tissu, qui deviendra ce qu'on appelle le placenta, partie sur laquelle seront insérés les ovules.
Nous ne parlerons pas ici des différentes modifications, que divers genres de formations peuvent apporter dans la structure des ovaires et des placentas, ce serait sortir du cadre de ce journal.
Quoiqu'on ait aujourd'hui quelques données certaines sur la forma tion des ovules , les botanistes ne sont pas complètement d'accord sur ce sujet, et la variété des observations tératologiques, loin d'avancer la solution de cette question, l'a peut-être reculée. Pourtant on peut penser presque avec certitude, que les ovules sont des bourgeons modifiés ou au moins des organes secondaires, comme les folioles d'une feuille com posée , qui se forment à la manière des bulbilles que l'on peut observer sur le bord des feuilles des Bryophyllum.
Après cet aperçu morphologique, que je me suis efforcé de restreindre ]e plus possible, nous pourrons sans difficulté expliquer la monstruosité de notre curieuse rose; il nous suffira de l'examiner successivement dans toutes ces parties.
Constatons d'abord que le Rosa viridiflora est un Bengale ; rien dans sa végétation jusqu'à sa fleur ne diffère des autres rosiers de celte section, et, couvert de boutons encore jeunes, il serait impossible de deviner le phénomène qui doit se manifester; car les cinq parties du calice même sont semblables à celles de toute autre rose, et les deux vers expressifs du poète botaniste :
« Quinqùe sumus fratres, duo sunt sine barba,
Barbati que duo, sum semi-berbis ego (7). »
se trouveraient encore justifiés ici. Ce n'est qu'à partir de la corolle que l'état monstrueux se manifeste. Chaque pétale est transformé en une véritable feuille identique par la lexture, la forme, à une feuille de la tige, seulement la dentelure ne peut être observée qu'à l'aide de la loupe. On retrouve à la partie inférieure l'onglet du-pétale; les nervures, comme dans toutes les autres feuilles composant cette fleur, se rapprochent de celles des pétales, mais elles sont plus parallèles et plus anastomosées.
Les feuilles remplaçant les étamines sont moins grandes, plus mani festement dentelées et leur onglet plus étroit, plus long, se rapproche davantage du pétiole; leurs deux limbes sont parfois repliés partielle ment sur eux-mêmes. Souvent la partie la plus centrale était comme gonflée sur chaque face, et cette partie renflée portait alors des traces de coloration rouge. Nous pouvons, je crois, voir là les rudiments déloges polléniques.
J'ai trouvé toutes les feuilles carpellaires fort longues, tout analogue aux véritables feuilles, souvent presque linéaires, etbifurquées quelque fois , ce qui pouvait provenir de la soudure de deux feuilles. Toutes étaient repliées exactement sur elles-mêmes, de manière que les limbes se recouvrissent : de telle sorte que la nervure médiane pouvait être considérée comme une sorte de charnière. Elles sont parfois tordues dans cet état, et pressées extrêmement les unes contre les autres. Leurs limbes sont généralement soudés par leurs bords dans la partie large, vers leur long pétiole, qui garde une petite cavité dans son intérieur. A son ex trémité inférieure, cette cavité est remplie par un petit amas ovoïde de matière cellulaire, qui me paraît être un commencement d'ovule, puis que, dans le genre Rosa, le carpelle est uni-ovulé. Ayant fait des coupes longitudinales, fort minces dans la partie où se trouvent réunis les pétioles, j'ai pu reconnaître, au microscope, que les petits corps solitaires que nous venons de signaler étaient toujours disposés chacun, par rapport au pétiole de la petile feuille, comme un bourgeon à l'aisselle d'une feuille ordinaire. On sait que les pétioles, dans un grand nombre de genres, et notamment chez le Rosier, sont demi-cylindriques. Or, ne peut-on pas être amené à penser, après cela, que la petite cavité pétiolaire de la feuille carpellaire est formée par la soudure des deux bords du pétiole, et que le bourgeon serait devenu là un ovule?
Toute complète qu'était la transformation , on retrouvait encore des traces presque insaisissables de coloration rouge dans la partie la plus pointue des petites feuilles si vertes, qui composent cette bizarre fleur, et parmi ces roses une, la seule il est vrai, était d'un vert pâle, presque blanc, avec quelques taches bien visibles de couleur rouge.
Telle est cette rose verte, que tout le monde croyait introuvable ; on la recherche aujourd'hui, et la curiosité est presque le seul moteur du bruit qui se fait autour d'elle. Mais je crains bien qu'un jour, quand elle aura été vue et comprise par les amateurs d'horticulture, on ne la dédaigne alors. Elle mérite pourtant une place dans chaque jardin, sinon comme un produit bizarre, du moins comme un objet constant d'études philoso phiques, et une preuve frappante de cette unité merveilleuse qui préside à toute l'organisation du règne végétal. ALPHONSE LAVALLÉE.
(1) Malgré l'origine japonaise qae M. Miellez a cru devoir donner à la rose verte qu'il a exposé à Paris en 1855, nous la -regardons comme identique à celle que nous figurons dans ce numéro. Elle provient de la même source ; car nous croyons savoir que M. Miellez la tient de M. Henderson, horticulteur anglais à Londres , qui l'a reçue de l'Amérique, mais sans pouvoir indiquer exactement le pays ; celle de M. Eugène Verdier lui est veuue de la Virginie, par un horticulteur d'Augusta, M. Mauge. F. H.
(2) Mot tiré du grec morphe, forme, et de logos, études ; c'est-à-dire, études des différentes formes des organes des plantes.
(3) Du grec chloa, qui est , de couleur vertu, et de anthos, fleur.
(4) Du grec teratos, monstre, et logos, études.
(5) Seconde série tom. I. page 308.
(6) Annales de sc. nat. 2e série tom. 18. p. 218.
(7) Nous sommes cinq frères (les cinq folioles du calice), deux sont sans barbe, deux barbus sur les bords ; moi je ne suis barbus que d'un côté : allusion aux appendices qui bordent les folioles calicinales.